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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

lement perdu leur confiance par la conduite la plus suspecte et surtout par le voyage qu’il avait dernièrement fait à Gènes.

L’arrêté de Barcelonnette, 19 thermidor an ii de la République française, une, indivisible et démocratique (6 août 1794), porte « que le général Bonaparte sera mis en état d’arrestation et traduit au comité de salut public à Paris, sous bonne et sûre escorte » Saliceti examina les papiers de Bonaparte ; il répondait à ceux qui s’intéressaient au détenu qu’on était forcé d’agir avec rigueur d’après une accusation d’espionnage partie de Nice et de Corse. Cette accusation était la conséquence des instructions directes données par Ricord : il fut aisé d’insinuer qu’au lieu de servir la France, Napoléon avait servi l’étranger. L’empereur fit un grand abus d’accusations d’espionnage : il aurait dû se rappeler les périls auxquels pareilles accusations l’avaient exposé.

Napoléon, se débattant, disait aux représentants : « Saliceti, tu me connais… Albitte, tu ne me connais point ; mais tu connais cependant avec quelle adresse quelquefois la calomnie siffle. Entendez-moi ; restituez-moi l’estime des patriotes ; une heure après, si les méchants veulent ma vie… je l’estime si peu ! je l’ai si souvent méprisée ! »

Survint une sentence d’acquittement. Parmi les pièces qui, dans ces années, servirent d’attestation à la bonne conduite de Bonaparte, on remarque un certificat de Pozzo di Borgo. Bonaparte ne fut rendu que provisoirement à la liberté ; mais dans cet intervalle il eut le temps d’emprisonner le monde.