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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

jours avec ma famille et mon frère. Nous étions tous réunis, et le général nous donnait tous les instants dont il pouvait disposer. Il vint un jour plus préoccupé que de coutume, et, se promenant entre Joseph et moi, il nous annonça qu’il ne dépendait que de lui de partir pour Paris dès le lendemain, en position de nous y établir tous avantageusement. Pour ma part cette annonce m’enchantait : atteindre enfin la capitale me paraissait un bien que rien ne pouvait balancer. On m’offre, nous dit Napoléon, la place de Hanriot. Je dois donner ma réponse ce soir. Eh bien ! qu’en dites-vous ? Nous hésitâmes un moment. Eh ! eh ! reprit le général, cela vaut bien la peine d’y penser : il ne s’agirait pas de faire l’enthousiaste ; il n’est pas si facile de sauver sa tête à Paris qu’à Saint-Maximin. — Robespierre jeune est honnête, mais son frère ne badine pas. Il faudrait le servir. — Moi, soutenir cet homme ! non, jamais ! Je sais combien je lui serais utile en remplaçant son imbécile commandant de Paris ; mais c’est ce que je ne veux pas être. Il n’est pas temps. Aujourd’hui il n’y a de place honorable pour moi qu’à l’armée : prenez patience, je commanderai Paris plus tard. Telles furent les paroles de Napoléon. Il nous exprima ensuite son indignation contre le régime de la Terreur, dont il nous annonça la chute prochaine, et finit par répéter plusieurs fois, moitié sombre et moitié souriant : Qu’irais-je faire dans cette galère ? »

Bonaparte, après le siège de Toulon[1], se trouva en-

  1. Au cours du siège, Bonaparte avait été nommé par les représentants adjudant général chef de brigade le 27 octobre 1793, confirmé le 1er décembre. Le 22 décembre, après la prise