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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

phie des hommes vivants ; Royou, Histoire de France, déclare qu’on ne sait pas quelle bouche fit entendre le cri meurtrier ; Fabry, déjà cité, dit, dans les Missionnaires de 93, que les uns attribuent le cri à Fréron, les autres à Bonaparte. Les exécutions du Champ de Mars de Toulon sont racontées par Fréron dans une lettre à Moïse Bayle de la Convention et par Moltedo[1] et Barras au comité de salut public.

De qui en définitive est le premier bulletin des victoires napoléoniennes ? serait-il de Napoléon ou de son frère ? Lucien, en détestant ses erreurs, avoue, dans ses Mémoires, qu’il a été à son début ardent républicain. Placé à la tête du comité révolutionnaire à Saint-Maximin, en Provence, « nous ne nous faisions pas faute, dit-il, de paroles et d’adresses aux Jacobins de Paris. Comme la mode était de prendre des noms antiques, mon ex-moine prit, je crois, celui d’Epaminondas, et moi celui de Brutus. Un pamphlet a attribué à Napoléon cet emprunt du nom de Brutus, mais il n’appartient qu’à moi[2]. Napoléon

  1. Jean-André-Antoine Moltedo, né à Vico (Corse) le 14 août 1751, grand-vicaire de l’évêque constitutionnel de la Corse, membre de l’administration de ce département, député de la Corse à la Convention nationale, puis au Conseil des Cinq-Cents, consul de France à Smyrne (1797-1798), directeur des Droits-réunis dans les Alpes-Maritimes (1804), conseiller à la Cour impériale d’Ajaccio (1811-1815), mort à Vico le 26 août 1829.
  2. Lucien Bonaparte, à l’époque du siège de Toulon, était garde-magasin des subsistances à Saint-Maximin (Var). « Bien que Saint-Maximin, dit M. Frédéric Masson (Napoléon et sa famille, I, 86), fût un médiocre théâtre pour un homme tel que lui, il n’avait point dédaigné de mettre les habitants à la hauteur. Grâce à lui et à Barras, Saint-Maximin était devenu Marathon ; lui-même ne se nommait plus Lucien mais Brutus. À la Société populaire, où il était l’unique orateur, il régnait sous le titre de président, et il cumulait, avec ce pouvoir délibératif, le pouvoir exécutif comme président du Comité révolutionnaire. Il en usait : plus de vingt habitants de la ville, des plus honorables et des plus respectés, étaient, par ses ordres, en prison comme suspects. « Des gens que j’aurais rougi d’approcher, a-t-il écrit plus tard, des galériens, des voleurs, étaient devenus mes camarades. » — Lorsqu’il se maria quelques mois