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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

cela si vous pouvez. Bonaparte a-t-il acquis le document en question de la corruption d’un commis, du désordre des temps, de la fraternité révolutionnaire ? Quel protecteur poussait les affaires de ce Corse ? Ce protecteur était le maître éternel ; la France, sous l’impulsion divine, délivra elle-même le brevet au premier capitaine de la terre ; ce brevet devint légal sans la signature de Louis, qui laissa sa tête, à condition qu’elle serait remplacée par celle de Napoléon : marchés de la Providence devant lesquels il ne reste qu’à lever les mains au ciel.


Toulon avait reconnu Louis XVII et ouvert ses ports aux flottes anglaises[1]. Carteaux d’un côté et le général Lapoype de l’autre, requis par les représentants Fréron, Barras, Ricord et Saliceti, s’approchèrent de Toulon. Napoléon, qui venait de servir sous Carteaux à Avignon, appelé au conseil militaire[2], soutint qu’il fallait s’emparer du fort. Mulgrace, bâti par les Anglais sur la hauteur du Caire, et placer sur les deux promontoires l’Éguillette et Balaguier des batteries qui, foudroyant la grande et la petite rade, contraindraient la flotte ennemie à l’abandonner. Tout arriva comme Napoléon l’avait prédit : on eut une première vue sur ses destinées.

Madame Bourrienne a inséré quelques notes dans les Mémoires de son mari ; j’en citerai un passage qui montre Bonaparte devant Toulon :

« Je remarquai, dit-elle, à cette époque (1795, à

  1. Le 27 août 1793.
  2. Bonaparte, lors du siège de Toulon, était chef de bataillon au 2e régiment d’artillerie.