pionnier qui déblaye des sables. La vue de ces travaux précoces me rappelle mes fatras juvéniles, mes Essais historiques, mon manuscrit des Natchez de quatre mille pages in-folio, attachées avec des ficelles ; mais je ne faisais pas aux marges de petites maisons, des dessins d’enfant, des barbouillages d’écolier, comme on en voit aux marges des brouillons de Bonaparte ; parmi mes juvéniles ne roulait pas une balle de pierre qui pouvait avoir été le modèle d’un boulet d’étude.
Ainsi donc il y a une avant-scène à la vie de l’empereur ; un Bonaparte inconnu précède l’immense Napoléon ; la pensée de Bonaparte était dans le monde avant qu’il y fût de sa personne : elle agitait secrètement la terre ; on sentait en 1789, au moment où Bonaparte apparaissait, quelque chose de formidable, une inquiétude dont on ne pouvait se rendre compte. Quand le globe est menacé d’une catastrophe, on en est averti par des commotions latentes : on a peur ; on écoute pendant la nuit ; on reste les yeux attachés sur le ciel sans savoir ce que l’on a et ce qui va arriver.
Paoli avait été rappelé d’Angleterre sur une motion de Mirabeau, dans l’année 1789. Il fut présenté à Louis XVI par le marquis de La Fayette, nommé lieutenant général et commandant militaire de la Corse. Bonaparte suivit-il l’exilé dont il avait été le protégé, et avec lequel il était en correspondance ? on l’a présumé. Il ne tarda pas à se brouiller avec Paoli : les crimes de nos premiers troubles refroidirent le vieux général ; il livra la Corse à l’Angleterre, afin d’échapper à la Convention. Bonaparte, à Ajaccio, était devenu membre d’un club de Jacobins ; un club opposé s’éleva.