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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Mme de Noailles, depuis duchesse de Mouchy, dit-il, si justement nommée la belle Nathalie, voyageait depuis six mois en Espagne avec ses enfants et faisait d’assez longs séjours dans les villes qui pouvaient offrir de l’intérêt à sa curiosité artistique. Elle témoigna le désir de nous voir, et nous fûmes heureux de rencontrer une femme aussi aimable que bonne, qui connaissait tous nos amis de Paris, et qui, en nous parlant d’eux, réveillait nos plus chers souvenirs.

Mme de Noailles, dont l’éclat et la beauté avaient fait du bruit à son entrée dans le monde, n’avait plus cette première fraîcheur que je lui avais vue et qui n’appartient qu’à l’extrême jeunesse ; mais elle avait conservé sa grâce, ses traits charmants et cette physionomie expressive et touchante qui ajoute tant à la beauté. Mme de Noailles était Mlle de Laborde ; elle avait la distinction, l’instruction et tous les talents qui sont de tradition dans cette famille[1], et, ce qui vaut mieux encore, beaucoup de bonté. Je n’ai pas connu une âme plus noble et plus généreuse. C’est à elle que j’ai dû une amitié précieuse qui est devenue un des liens puissants de ma vie. Elle était très liée avec M. de Chateaubriand, alors en Terre-Sainte. Elle me parlait de lui sans cesse, et lorsque je le rencontrai peu de temps après, je crus le reconnaître sans jamais l’avoir vu.

Mme de Noailles avait passé deux mois à Grenade pour dessiner tous les monuments que les Maures y ont laissés. Elle parlait de l’Alhambra avec l’enthousiasme d’une artiste… Les Maures exaltaient tellement son imagination que nous fûmes sur le point de faire avec elle une course en Afrique, dont la traversée n’était que de quelques heures… C’est de ce grand enthousiasme pour ces mœurs dont Mme de Noailles était animée qu’est née la charmante nouvelle que Chateaubriand a appelée le Dernier Abencerage. Blanca y est bien l’image fidèle de l’aimable Nathalie, et dans la description de cette dame gracieuse et noble où il a peint la fille des Espagnes, j’ai cru souvent revoir l’amie commune qui nous avait charmés bien des fois en essayant les danses si attrayantes des pays que nous visitions ensemble. (Mémoires et Souvenirs du baron Hyde de Neuville, tome I, p. 444 et suiv.).

  1. La supériorité d’esprit de la vicomtesse de Noailles, fille de la duchesse de Mouchy, est connue. Elle a écrit la Vie de la princesse de Poix, sa grand-mère. Cet écrit, publié en 1855, est un chef-d’œuvre de finesse et de grâce aristocratique. Une notice non moins remarquable sur la vicomtesse de Noailles est due à la plume de Mme Standish, née Sabine de Noailles (Note de M. Hyde de Neuville).