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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Consul, l’ordre de me rendre le matin dans son bureau, pour des affaires qui seront éclaircies dans une autre occasion, je n’aie été le prendre dans sa maison et qu’après avoir assisté à sa toilette où il n’y avait rien du costume de conseiller, nous nous soyons rendus ensemble dans ses bureaux, rue des Saints-Pères, où je passai plusieurs heures à écrire des détails que Napoléon lui avait ordonné de me demander. Je soutiendrai à quiconque voudrait donner le change à l’opinion, qu’à deux heures après-midi M. Réal n’était pas sorti et qu’il n’a pas pu avoir d’entretien avec M. de Rovigo sur la route de Vincennes, où il n’avait pas besoin d’aller pour savoir ce qui se passait et où il n’y avait plus d’interrogatoire à faire.


Méhée, sans doute, n’est point de ceux dont le témoignage s’impose ; mais il faut bien croire que son démenti n’était point ici sans valeur, puisque le duc de Rovigo, en 1828, reproduisant, au tome II de ses Mémoires, sa brochure de 1823, a eu bien soin de supprimer tout ce qui avait trait à sa rencontre avec Réal sur la route de Vincennes. De la fameuse anecdote, il n’est plus dit un traître mot !

Dans ses Témoignages historiques, ou Quinze ans de haute police sous Napoléon (1833), Desmarest, le confident et le bras droit de Réal, a tout un chapitre sur l’Enlèvement et la Mort du duc d’Enghien. Il n’y est point parlé de la mission que Bonaparte aurait confiée à Réal, ni de la visite de Maret, ni de la rencontre sur la route de Vincennes. Et de tout cela non plus il n’est rien dit dans les Souvenirs mêmes de Réal, publiés en 1835 sous ce titre : Indiscrétions (1798-1830) ; Souvenirs anecdotiques et politiques tirés du portefeuille d’un fonctionnaire de l’Empire, mis en ordre par M. Desclozeaux (Paris, Dufey, 2 vol. in-8o).

Chateaubriand a donc eu raison de mettre en doute l’anecdote contée par le duc de Rovigo et de tenir pour « non recevable » l’argument qu’en ont voulu tirer les avocats de Bonaparte.