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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

son cabinet ? Comment admettre que Maret, fort de l’autorité de son maître et dans une occasion où la gloire de ce dernier était en jeu, n’aurait pas forcé la consigne ?

M. Thiers a dit lui-même, à propos des ordres signés par Bonaparte et remis à Savary : « Ces ordres étaient complets et positifs… Ils contenaient l’injonction… de se réunir immédiatement pour tout finir dans la nuit et si, comme on ne pouvait en douter, la condamnation était une condamnation à mort, de faire exécuter sur-le-champ le prisonnier. » — On est au soir (c’est encore M. Thiers qui nous le dit), encore quelques heures, et le prince sera fusillé. Bonaparte, cependant, est revenu à d’autres sentiments : il veut essayer d’un moyen de sauver le prince, et c’est à M. Réal qu’il va confier cette mission. Comme il n’y a pas une minute à perdre, Maret, son envoyé, verra donc Réal sur-le-champ, il le verra coûte que coûte, il ne sortira pas de son hôtel qu’il ne l’ait vu partir pour Vincennes au galop de ses chevaux !… Maret arrive à l’hôtel du conseiller d’État. — Monsieur est couché, disent les domestiques… — Et discrètement Maret se retire, non pourtant sans laisser un pli chez le concierge !!


La brochure du duc de Rovigo donna naissance, en 1823, à plusieurs autres écrits, dont l’un, intitulé : Extrait de Mémoires inédits sur la Révolution française, avait pour auteur Méhée de la Touche, ancien chef de division aux ministères des relations extérieures et de la guerre, qui avait joué, lui aussi, un rôle important dans l’affaire du duc d’Enghien.

Je déclare, écrivait Méhée, qu’il n’est pas vrai que M. de Rovigo ait rencontré, le jour de l’assassinat, en habit de conseiller d’État, M. Réal, qui avait, dit-il, ordre de Napoléon d’aller interroger le duc d’Enghien. Cette journée était assez remarquable pour être restée dans la mémoire de beaucoup de personnes qui sont, je n’en doute pas, à même d’attester le même fait. Je défierais M. Réal de nier qu’ayant reçu de lui, de la part du premier