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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

son mari », et que, plus que lui, elle était prompte pour la répartie[1]

Avec son esprit mordant, avec sa verve railleuse et « sa plume vive et leste », Mme de Chateaubriand était donc assez bien armée pour écrire des mémoires. Mais, d’autre part, cette femme d’un homme de génie n’était, à aucun degré, une femme littéraire. Chez elle, pas la moindre trace de bas-bleuisme. Elle était « adverse aux lettres », selon le mot de son mari, qui ajoute : « Mme de Chateaubriand m’admire sans avoir jamais lu deux lignes de mes ouvrages[2]. » Il advint même qu’elle vendit au rabais, petit à petit, au profit de ses pauvres, la bibliothèque de son mari, ce dont celui-ci, d’ailleurs, ne fût pas autrement fâché. Ses lectures se bornaient à quelques ouvrages de piété « où elle trouvait ses délices[3]. » Sa grande affaire, c’était la charité, c’était la visite des pauvres ou l’Œuvre de la Sainte-Enfance, c’était surtout l’Infirmerie de Marie-Thérèse, fondée par elle et où elle passait presque toutes ses journées. En fait de livres, ce qui la préoccupait surtout, c’était de vendre beaucoup de livres… de chocolat. Elle en avait établi une fabrique dans son Infirmerie, et ses amis n’avaient pas le droit de se fournir ailleurs, quitte à eux, pour se consoler, à l’appeler la vicomtesse Chocolat, titre dont elle était aussi fière que de celui de vicomtesse de Chateaubriand. Ses succès comme marchande ne se comptaient pas ; il lui arriva même un jour de faire un vrai miracle : elle vendit à Victor Hugo trois livres de chocolat, au prix fort ! Il est vrai que Victor Hugo était jeune en ce temps-là[4].

Et maintenant, vous figurez-vous cette sainte femme,

  1. Les Conversations de M. de Chateaubriand, par M. Daniélo, insérées à la suite des Mémoires d’Outre-tombe, tome XII de la première édition.
  2. Mémoires d’Outre-tombe, tome I, p. 408.
  3. J. Daniélo, loc. cit.
  4. Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, tome II, p. 13.