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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ami qui prend la plume pour vous répéter ce que je vous dis en vous quittant, que nous vous aimons aujourd’hui comme nous vous aimions il y a quarante ans et plus.

La Vsse de Chateaubriand.

Et au-dessous de la signature de sa femme, de ses pauvres doigts tout noués par la goutte, qui pouvaient à peine retenir la plume et marquer les lettres, Chateaubriand écrivit ces deux lignes :

Vous ne voyez plus, mon cher ami, et moi, je ne puis plus écrire : ainsi tout finit, excepté notre fidèle et constante amitié.

Chateaubriand[1].

M. Clausel de Coussergues mourut le 7 juillet 1846. Deux ans après, presque jour pour jour, le 4 juillet 1848, son vieil ami le suivait dans la tombe. Mme de Chateaubriand était morte le 9 février 1847.


Les noms de Clausel et de Chateaubriand ne se sauraient séparer. Dans l’Appendice du Génie du Christianisme, on trouve une Note ainsi conçue :

M. de Cl…, obligé de fuir pendant la Terreur avec un de ses frères, entra dans l’armée de Condé ; après y avoir servi honorablement jusqu’à la paix, il se résolut de quitter le monde. Il passa en Espagne, se retira dans un couvent de trappistes, y prit l’habit de l’ordre, et mourut peu de temps après avoir prononcé ses vœux : il avait écrit plusieurs lettres à sa famille et à ses amis pendant son voyage en Espagne et son noviciat chez les trappistes. Ce sont ces lettres que l’on donne ici. On n’a rien voulu y changer : on y verra une peinture fidèle de la vie de ces religieux. Dans ces feuilles écrites sans art, il règne souvent une grande élévation de sentiments, et toujours une naïveté d’autant plus précieuse, qu’elle appartient au génie français, et qu’elle se perd de plus en plus parmi nous. Le sujet de ces lettres se lie au souvenir de nos malheurs ; elles représentent un jeune et brave Français chassé de sa famille par la

  1. Madame de Chateaubriand. Lettres inédites à M. Clausel de Coussergues, par l’abbé Pailhès (1888).