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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Je vous défie de nous écrire d’un pays plus chaud que le nôtre ; voilà deux jours qu’on ne peut respirer. Il est vrai qu’il y en a trois qu’on se chauffait à grand feu : pour le chaud, c’est la saison ; pour le froid, c’est la comète. — Vous avez grand tort de comparer le lieu où nous vivons au paradis terrestre ; si ce n’est qu’on y trouve aussi des serpents, et, si vous avez à Montpellier des procès à débrouiller et des chicanes à réprimer, nous avons ici des voleurs à pendre ; en conséquence, M. de Chateaubriand vient d’être nommé juré, pour juger les pauvres gens qu’il renverra sur les grands chemins sains et saufs, s’il plaît à Dieu. Mais ce qui nous déplaît beaucoup à nous, c’est que nous voilà obligés d’aller à Paris, et il est si triste et si justement triste en ce moment que rien qu’à y penser on tourne à la mort. Pas une âme, ou sinon des âmes en peine ; des rues désertes, des maisons vides et des arbres poudrés à blanc, voilà ce que nous allons trouver.

Il nous serait beaucoup plus agréable d’aller vous faire une petite visite dans votre cabinet exposé au nord et placé au milieu d’une belle campagne ; mais on ne peut pas dire à présent, voyage qui voudra. Nous vous attendons donc ici ; car vous y viendrez, et j’espère même que vous y resterez ; et, comme alors vous serez questeur, nous aurons une voiture.

Joubert est dans l’admiration et dans l’attendrissement des lettres que vous lui écrivez, d’où je conclus que ce ne sont pas vos chefs-d’œuvre. Il est retombé dans sa manie universitaire ; il n’a pas de plus grand bonheur que de pouvoir s’enfermer avec quelques inspecteurs, recteurs ou proviseurs, et de les pérorer tant et si longtemps qu’il est ensuite obligé de se coucher pendant huit jours et qu’il a le plaisir de se plaindre éternellement. M. de Bonald est ici depuis un mois, mais nous ne l’avons point vu, du moins moi. M. de Chateaubriand l’a rencontré l’autre jour, chez le restaurateur. On dit qu’il s’est livré aux petits littérateurs ; il les a choisis pour ses amis et pour ses juges. Il a grand tort pour l’avenir, mais il a raison pour le présent. Il paraît qu’il veut des trompettes pour son nouvel ouvrage ; il est vrai que celles d’aujourd’hui ne retentissent pas au loin, mais elles assourdissent ceux qui sont près.

Nous avons depuis huit jours un vent épouvantable, tantôt froid, tantôt chaud, c’est-à-dire aussi extraordinaire que la saison. Comme je ne suis point mélancolique et que j’ai passé l’âge où l’on aime à soupirer, je n’aime ni le vent ni la lune ; je ne me plais qu’à la pluie pour mon gazon, et au soleil pour me réjouir. Mais voilà une des plus longues lettres que j’aie jamais écrites. Aussi je permets bien à votre distraction de penser à