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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

traire à la foi catholique ou aux bonnes mœurs : le désavouant, et, en tant que je puis, en condamnant et dissuadant la promulgation, la réimpression et représentation sur les théâtres. Je rétracte également et condamne toute proposition erronée qui aurait pu m’échapper dans ces différents écrits. — J’exhorte tous mes compatriotes à entretenir des sentiments de paix et de concorde ; je demande pardon à ceux qui ont cru avoir à se plaindre de moi, comme je pardonne bien sincèrement à ceux dont j’ai eu à me plaindre.

Après de telles paroles, dites à l’heure suprême, qui pourrait encore suspecter la sincérité des sentiments religieux de La Harpe ? Il en avait d’ailleurs donné une preuve non moins éclatante à l’époque de ce second mariage, sous le Directoire, dont parle Chateaubriand. L’épisode est des plus intéressants, et vaut, je crois, d’être rappelé.

La Harpe avait pour ami M. Récamier, le mari de la belle Juliette. L’optimisme de M. Récamier le poussait volontiers à se mêler de mariage : il y avait la main malheureuse, mais ses insuccès ne le décourageaient point. Il connaissait de vieille date une Mme de Hatte-Longuerue, veuve, sans fortune, chargée de deux enfants : un fils et une fille fort belle, âgée de vingt-trois ans. La demoiselle était difficile à établir, attendu la pauvreté de sa famille ; M. Récamier eut l’idée de la faire épouser à La Harpe. Il avait trente-quatre ans de plus que la jeune fille, et celle-ci n’était pas sans ressentir quelque répugnance à l’accepter. Mais la mère cacha avec soin cette disposition à l’épouseur, et entraîna sa fille. Cette union, conclue le 9 août 1797, ne dura point et ne pouvait durer.

Au bout de trois semaines, Mlle de Longuerue déclarait que sa répugnance était invincible et demandait le divorce. La Harpe, vivement blessé dans son amour-propre et dans sa conscience, se conduisit en galant homme et en chrétien : il ne pouvait se prêter au divorce interdit par la loi religieuse, mais il le laissa s’accomplir, et il pardonna à la jeune fille l’éclat et le scandale de cette