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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Sainte-Beuve, « donné en mourant la main à Chateaubriand, à Fontanes, à tout ce jeune groupe littéraire en qui était alors l’avenir ».

Bien avant l’apparition du Génie du christianisme, il avait commencé une Apologie de la religion chrétienne, que la mort ne lui a pas permis de finir, mais dont il reste de très beaux fragments. D’autres à sa place eussent vu avec ennui, avec dépit sans doute, l’entrée en scène du jeune rival dont l’œuvre allait rejeter la sienne dans l’ombre. La Harpe, au contraire, l’accueillit avec un sincère enthousiasme, avec une sorte de tendresse, non comme un rival, mais comme un fils. Il inscrivit son nom sur son testament, le priant « de se souvenir combien il lui était attaché ». Chateaubriand ne fut pas ingrat. Il publia, dans le Mercure, au lendemain des funérailles de La Harpe, un article, où il disait :


… Les obsèques furent célébrées, le dimanche matin, à Notre-Dame. Il s’était retiré depuis quelques années dans le cloître de cette cathédrale, comme s’il avait voulu se réfugier, loin d’un monde peu charitable, à l’ombre de la maison du Dieu de miséricorde. Ceux qui ont vu les restes de cet auteur célèbre renfermés dans un chétif cercueil ont pu sentir le néant des grandeurs littéraires, comme de toutes les autres grandeurs ; heureusement, c’est dans la mort que le chrétien triomphe, et sa gloire commence quand toutes les autres gloires finissent.

Le convoi est parti à une heure pour le cimetière de la barrière de Vaugirard. Nous avons sincèrement regretté de ne pas voir marcher à la tête du cortège cette croix qui nous afflige et nous console, et par laquelle un Dieu compatissant a voulu se rapprocher de nos misères. Lorsqu’on est arrivé au cimetière, on a déposé le cercueil au bord de la fosse, sur le petit morceau de terre qui devait bientôt le recouvrir. M. de Fontanes a prononcé alors un discours noble et simple sur l’ami qu’il venait de perdre. Il y avait dans l’organe de l’orateur attendri, dans les tourbillons de neige qui tombaient du ciel, et qui blanchissaient le drap mortuaire du cercueil, dans le vent qui soulevait ce drap mortuaire, comme pour laisser passer les paroles de l’amitié jusqu’à l’oreille de la mort ; il y avait, disons-nous, dans ce concours de