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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

taine tête de veau marinée pendant cinq nuits, cuite dans du vin de Madère et rembourrée de choses exquises ; de jeunes paysannes très-jolies servaient à table ; elles versaient l’excellent vin du cru renfermé dans des dames-jeannes de la grandeur de trois bouteilles. Nous nous abattions, moi et le chapitre en soutane, sur le festin Saget : le coteau en était tout noir[1].

Notre dapifer trouva vite la fin de ses provisions : dans la ruine de ses derniers moments, il fut recueilli par deux ou trois des vieilles maîtresses qui avaient pillé sa vie, « espèce de femmes, dit saint Cyprien, qui vivent comme si elles pouvaient être aimées, quæ sic vivis ut possis adamari. »


Nous nous arrachâmes aux délices de Capoue pour aller voir la Chartreuse, toujours avec M. Ballanche. Nous louâmes une calèche dont les roues disjointes faisaient un bruit lamentable. Arrivés à Voreppe, nous nous arrêtâmes dans une auberge au haut de la ville. Le lendemain, à la pointe du jour, nous montâmes à cheval et nous partîmes, précédés d’un guide. Au village de Saint-Laurent, au bas de la Grande-

  1. « Il y avait à Lyon, dans ce temps-là, un certain M. Saget, qui habitait, sur le coteau de Fourvières, la plus jolie maison du monde. Ce vieil original, riche comme un puits, dépensait la moitié de son argent en bonnes œuvres pour expier celles, assez mauvaises, auxquelles il consacrait, dit-on, l’autre moitié de sa fortune. Il avait, pour faire les honneurs de sa maison, deux vieilles demoiselles qui avaient été fort belles dans leur temps, et, pour le servir, un essaim de jeunes paysannes jolies, belles et très richement vêtues. Du reste, ses dîners étaient excellents, ses vins, les meilleurs du monde, et les convives (pour la plupart) messieurs du chapitre de Saint-Jean de Lyon. » (Souvenirs de Mme de Chateaubriand.)