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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

cienne façon descendaient sur les épaulettes de son manteau de lit semé de tabac, comme au temps des élégantes de la Fronde. Autour d’elle, sur la couverture, gisaient éparpillées des adresses de lettres, détachées des lettres mêmes, et sur lesquelles adresses madame de Coislin écrivait en tous sens ses pensées : elle n’achetait point de papier, c’était la poste qui le lui fournissait. De temps en temps, une petite chienne appelée Lili mettait le nez hors de ses draps, venait m’aboyer pendant cinq ou six minutes et rentrait en grognant dans le chenil de sa maîtresse. Ainsi le temps avait arrangé les jeunes amours de Louis XV.

Madame de Châteauroux et ses deux sœurs étaient cousines de madame de Coislin : celle-ci n’aurait pas été d’humeur, ainsi que madame de Mailly, repentante et chrétienne, à répondre à un homme qui l’insultait dans l’église Saint-Roch, par un nom grossier : « Mon ami, puisque vous me connaissez, priez Dieu pour moi. »

Madame de Coislin, avare de même que beaucoup de gens d’esprit, entassait son argent dans des armoires. Elle vivait toute rongée d’une vermine d’écus qui s’attachait à sa peau : ses gens la soulageaient. Quand je la trouvais plongée dans d’inextricables chiffres, elle me rappelait l’avare Hermocrate, qui, dictant son testament, s’était institué son héritier[1]. Elle donnait cependant à dîner par hasard ; mais elle déblatérait contre le café que personne n’aimait, suivant elle, et dont on n’usait que pour allonger le repas.

Madame de Chateaubriand fit un voyage à Vichy

  1. Allusion à une épigramme de l’Anthologie.