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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ment de la cour, comme d’autres plus heureux sont de la rue, comme on est cavale de race ou haridelle de fiacre : elle ne pouvait rien à cet accident, et force lui était de supporter le mal dont il avait plu au ciel de l’affliger.

Madame de Coislin avait-elle eu des liaisons avec Louis XV ? elle ne me l’a jamais avoué : elle convenait pourtant qu’elle avait été fort aimée, mais elle prétendait avoir traité le royal amant avec la dernière rigueur. « Je l’ai vu à mes pieds, me disait-elle, il avait des yeux charmants et son langage était séducteur. Il me proposa un jour de me donner une toilette de porcelaine comme celle que possédait madame de Pompadour. — Ah ! sire, m’écriai-je, ce serait donc pour me cacher dessous ! »

Par un singulier hasard j’ai retrouvé cette toilette chez la marquise de Conyngham[1], à Londres ; elle l’avait reçue de George IV, et me la montrait avec une amusante simplicité.

Madame de Coislin habitait dans son hôtel une chambre s’ouvrant sous la colonnade qui correspond à la colonnade du Garde-Meuble. Deux marines de Vernet, que Louis le Bien-Aimé avait données à la noble dame, étaient accrochées sur une vieille tapisserie de satin verdâtre. Madame de Coislin restait couchée jusqu’à deux heures après midi, dans un grand lit à rideaux également de soie verte, assise et soutenue par des oreillers ; une espèce de coiffe de nuit mal attachée sur sa tête laissait passer ses cheveux gris. Des girandoles de diamants montés à l’an-

  1. Sur la marquise de Conyngham, voir au tome I la note 2 de la page 398 (note 56 du Livre VI).