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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

près de lui les deux consuls ses collègues : il fit d’abord d’amers reproches à M. Réal[1] de l’avoir laissé ignorer ce qu’on projetait contre lui. Il écouta patiemment les objections : ce fut Cambacérès[2] qui s’exprima avec le plus de vigueur. Bonaparte l’en remercia et passa outre. C’est ce que j’ai vu dans les Mémoires de Cambacérès, qu’un de ses neveux, M. de Cambacérès, pair de France, m’a permis de consulter, avec une obligeance dont je conserve un souvenir reconnaissant. La bombe lancée ne revient pas ; elle va où le génie l’envoie, et tombe. Pour exécuter les ordres

    la place où le hasard m’a fait naître. Je suis trop fier pour courber bassement la tête, et le Premier Consul pourra peut-être venir à bout de me détruire, mais il ne me fera pas m’humilier. On peut prendre l’incognito pour voyager dans les glaciers de la Suisse, comme je l’ai fait l’an passé, n’ayant rien de mieux à faire. Mais, pour la France, quand j’en ferai le voyage, je n’aurai pas besoin de m’y cacher. Je puis donc vous donner ma parole d’honneur la plus sacrée que pareille idée ne m’est jamais entrée et ne m’entrera jamais dans la tête. Des méchants ont pu désirer, en vous racontant ces absurdités, me donner un tort de plus à vos yeux. Je suis accoutumé à de pareils services, que l’on s’est toujours empressé de me rendre, et je suis heureux qu’ils soient enfin réduits à employer des calomnies aussi absurdes.

    « Je vous embrasse, cher papa, et vous prie de ne jamais douter de mon profond respect comme de ma tendresse. »

  1. Pierre-François, comte Réal (1765-1834), procureur au Châtelet avant la Révolution, substitut du procureur de la Commune en 1792, historiographe de la République sous le Directoire, conseiller d’État après le 18 brumaire, préfet de police pendant les Cent-Jours. Voir sur lui les Mémoires du chancelier Pasquier, I, 268, et les Mémoires de Mme de Chastenay, tome I.
  2. Jean-Jacques-Régis de Cambacérès (1753-1824), député de l’Hérault à la Convention et aux Cinq-Cents ; second consul après brumaire ; sous l’Empire, archi-chancelier, prince, duc de Parme ; aux Cent-Jours, pair et ministre de la justice.