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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

mes yeux : la religion seule me fixait par sa gravité et par les réflexions d’un ordre supérieur qu’elle me suggérait.

Cependant, en m’occupant de la pensée d’écrire mes Mémoires, je sentis le prix que les grands attachaient à la valeur de leur nom : il y a peut-être une réalité touchante dans cette perpétuité des souvenirs qu’on peut laisser en passant. Peut-être, parmi les grands hommes de l’antiquité, cette idée d’une vie immortelle chez la race humaine leur tenait-elle lieu de cette immortalité de l’âme, demeurée pour eux un problème. Si la renommée est peu de chose quand elle ne se rapporte qu’à nous, il faut convenir néanmoins que c’est un beau privilège attaché à l’amitié du génie, de donner une existence impérissable à tout ce qu’il a aimé.

J’entrepris un commentaire de quelques livres de la Bible, en commençant par la Genèse. Sur ce verset : Voici qu’Adam est devenu comme l’un de nous, sachant le bien et le mal ; donc, maintenant, il ne faut pas qu’il porte la main au fruit de vie, qu’il le prenne, qu’il en mange et qu’il vive éternellement ; je remarquai l’ironie formidable du Créateur : Voici qu’Adam est devenu semblable à l’un de nous, etc. Il ne faut pas que l’homme porte la main au fruit de vie. Pourquoi ? Parce qu’il a goûté au fruit de la science et qu’il connaît le bien et le mal ; il est maintenant accablé de maux ; donc, il ne faut pas qu’il vive éternellemen :t quelle bonté de Dieu que la mort !

Il y a des prières commencées, les unes pour les inquiétudes de l’âme, les autres pour se fortifier contre la prospérité des méchants : je cherchais à ramener à un centre de repos mes pensées errantes hors de moi.