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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

est malheureux, disais-je ; s’il a mêlé les cendres qu’il aima à tant de cendres illustres, avec quel charme ne passera-t-il pas du tombeau de Cecilia Metella au cercueil d’une femme infortunée ! »

C’est aussi à Rome que je conçus pour la première fois l’idée d’écrire les Mémoires de ma vie ; j’en trouve quelques lignes jetées au hasard, dans lesquelles je déchiffre ce peu de mots : « Après avoir erré sur la terre, passé les plus belles années de ma jeunesse loin de mon pays, et souffert à peu près tout ce qu’un homme peut souffrir, la faim même, je revins à Paris en 1800. »

Dans une lettre à M. Joubert, j’esquissais ainsi mon plan :

« Mon seul bonheur est d’attraper quelques heures, pendant lesquelles je m’occupe d’un ouvrage qui peut seul apporter de l’adoucissement à mes peines : ce sont les Mémoires de ma vie. Rome y entrera ; ce n’est que comme cela que je puis désormais parler de Rome. Soyez tranquille ; ce ne seront point des

    de Claude Lorrain ou du Poussin : Lumière du Lorrain et cadre du Poussin… En prose, il n’y a rien au delà. Après de tels coups de talent, il n’y a plus que le vers qui puisse s’élever encore plus haut avec son aile… « N’oubliez pas, m’écrit un bon juge, Chateaubriand comme paysagiste, car il est le premier ; il est unique de son ordre en français. Rousseau n’a ni sa grandeur, ni son élégance. Qu’avons-nous de comparable à la Lettre sur Rome ? Rousseau ne connaît pas ce langage. Quelle différence ! L’un est genevois, l’autre olympique. » — Cette belle Lettre a produit en français toute une école de peintres, une école que j’appellerai romaine. Mme de Staël, la première, s’inspira de l’exemple de Chateaubriand : son imagination en fut piquée d’honneur et fécondée ; elle put figurer Corinne, ce qu’elle n’eût certes pas tenté avant la venue de son jeune rival. »