Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/391

Cette page a été validée par deux contributeurs.
367
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

madame de Beaumont, sans aucune force de beauté, de renommée, de puissance ou de richesse, exerçait sur les esprits.

Paris, 24 novembre 1803.

« J’ai appris avant-hier par M. Michaud[1], qui est revenu de Lyon, que madame de Beaumont était à

    avoir reçu du ciel mission de régénérer le christianisme, se fit apôtre et parcourut l’Allemagne, prêchant en plein air, visitant les prisonniers, répandant des aumônes, et entraînant à sa suite des milliers d’hommes. Les événements de 1814 ajoutèrent encore à son exaltation. Elle prit alors sur l’Empereur Alexandre un ascendant considérable, et le tzar voulut l’avoir à ses côtés, quand il passa dans la plaine des Vertus en Champagne la grande revue de l’armée russe (11 septembre 1815). Quelques jours après, le 26 septembre, était signée à Paris, entre la Russie, l’Autriche et la Prusse, la Sainte-Alliance. Mme de Krüdener en avait été l’inspiratrice. En 1824, elle passa en Crimée, afin d’y fonder une maison de refuge pour les pécheurs et les criminels ; elle y mourut la même année, le 25 décembre, à Karasou-Bazar. Sa Vie a été écrite par M. Eynard (Paris, 1849), et par Sternberg (Leipsick, 1856).

  1. Joseph Michaud (1767-1839) ; auteur du Printemps d’un proscrit et de l’Histoire des Croisades, membre de l’Académie française et l’un des hommes les plus spirituels de son temps. Condamné à mort par contumace, après le 13 vendémiaire, proscrit après le 18 fructidor, il était ardemment royaliste, et sous la Restauration, directeur de la Quotidienne, qu’il avait fondée en 1794, il prit rang parmi les ultras. L’indépendance, chez ce galant homme, marchait de pair avec la fidélité. « Je suis comme ces oiseaux, disait-il, qui sont assez apprivoisés pour se laisser approcher, pas assez pour se laisser prendre. » Un jour, un ministre, voulant se rendre la Quotidienne favorable, le fit venir et ne lui ménagea pas les offres les plus séduisantes. « Il n’y a qu’une chose, lui dit M. Michaud, pour laquelle je pourrais vous faire quelque sacrifice. — Et laquelle ? reprit vivement le ministre. — Ce serait si vous pouviez me donner la santé. » Sa santé, toute pauvre qu’elle était, son vif et charmant esprit, sa plume alerte et vaillante, il avait mis tout cela au service de Charles X ; il faisait plus que défendre le roi, il l’aimait. Cela ne l’empêchait