Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/387

Cette page a été validée par deux contributeurs.
363
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

mont jusqu’à sa mort des marques de déférence et de respect que je n’aurais pas attendues de lui, et qui m’ont fait oublier les misérables divisions des premiers temps de mon séjour à Rome. J’avais écrit à M. Joubert les inquiétudes dont j’étais tourmenté avant l’arrivée de madame de Beaumont : « Notre amie m’écrit du Mont-Dore, lui disais-je, des lettres qui me brisent l’âme : elle dit qu’elle sent qu’il n’y a plus d’huile dans la lampe ; elle parle des derniers battements de son cœur. Pourquoi l’a-t-on laissée seule dans ce voyage ? Pourquoi ne lui avez-vous point écrit ? Que deviendrons-nous si nous la perdons ? qui nous consolera d’elle ? Nous ne sentons le prix de nos amis qu’au moment où nous sommes menacés de les perdre. Nous sommes même assez insensés, quand tout va bien, pour croire que nous pouvons impunément nous éloigner d’eux : le ciel nous en punit ; il nous les enlève, et nous sommes épouvantés de la solitude qu’ils laissent autour de nous. Pardonnez, mon cher Joubert ; je me sens aujourd’hui mon cœur de vingt ans ; cette Italie m’a rajeuni ; j’aime tout ce qui m’est cher avec la même force que dans mes premières années. Le chagrin est mon élément : je ne me retrouve que quand je suis malheureux. Mes amis sont à présent d’une espèce si rare, que la seule crainte de me les voir ravir glace mon sang. Souffrez mes lamentations : je suis sûr que vous êtes aussi malheureux que moi. Écrivez-moi, écrivez aussi à cette autre infortunée de Bretagne. »

Madame de Beaumont se trouva d’abord un peu soulagée. La malade elle-même recommença à croire