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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

le langage différent de ces anges infortunés. Quand je songe que j’ai vécu dans la société de telles intelligences, je m’étonne de valoir si peu. Ces pages de deux femmes supérieures, disparues de la terre à peu de distance l’une de l’autre, ne tombent pas sous mes yeux, qu’elles ne m’affligent amèrement :

À Lascardais, ce 30 juillet[1].

« J’ai été si charmée, madame, de recevoir enfin une lettre de vous, que je ne me suis pas donné le temps de prendre le plaisir de la lire de suite tout entière : j’en ai interrompu la lecture pour aller apprendre à tous les habitants de ce château que je venais de recevoir de vos nouvelles, sans réfléchir qu’ici ma joie n’importe guère, et que même presque personne ne savait que j’étais en correspondance avec vous. Me voyant environnée de visages froids, je suis remontée dans ma chambre, prenant mon parti d’être seule joyeuse. Je me suis mise à achever de lire votre lettre, et, quoique je l’aie relue plusieurs fois, à vous dire vrai, madame, je ne sais pas tout ce qu’elle contient. La joie que je ressens toujours en voyant cette lettre si désirée nuit à l’attention que je lui dois.

« Vous partez donc, madame ? N’allez pas, rendue au Mont-Dore, oublier votre santé ; donnez-lui tous vos soins, je vous en supplie du meilleur et du plus tendre de mon cœur. Mon frère m’a mandé qu’il espérait vous voir en Italie. Le destin, comme la nature, se plaît à le distinguer de moi d’une manière bien favorable. Au moins, je ne céderai pas à

  1. 30 juillet 1803.