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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

pour être appréciée, ni pour être véritablement utile, et dont l’impatience de mon caractère m’ôte tout le charme : elle me fait plus souffrir des maux d’autrui qu’elle ne me donne de moyens de les réparer. Cependant je lui dois le peu de véritables jouissances que j’ai eues dans ma vie ; je lui dois surtout de ne pas connaître l’envie, apanage si ordinaire de la médiocrité sentie. »


Mont-Dore.

« J’avais le projet d’entrer sur moi dans quelques détails ; mais l’ennui me fait tomber la plume des mains.

« Tout ce que ma position a d’amer et de pénible se changerait en bonheur, si j’étais sûre de cesser de vivre dans quelques mois.

« Quand j’aurais la force de mettre moi-même à mes chagrins le seul terme qu’ils puissent avoir, je ne l’emploierais pas : ce serait aller contre mon but, donner la mesure de mes souffrances et laisser une blessure trop douloureuse dans l’âme que j’ai jugée digne de m’appuyer dans mes maux.

« Je me supplie en pleurant de prendre un parti aussi rigoureux qu’indispensable. Charlotte Corday prétend qu’il n’y a point de dévouement dont on ne retire plus de jouissance qu’il n’en a coûté de peine à s’y décider ; mais elle allait mourir, et je puis vivre encore longtemps. Que deviendrai-je ? Où me cacher ? Quel tombeau choisir ? Comment empêcher l’espérance d’y pénétrer ? Quelle puissance en murera la porte ?

« M’éloigner en silence, me laisser oublier, m’ense-