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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sa petite chanson de la plaine, s’abattait parmi des neiges, au lieu de descendre sur des moissons. Les stances que m’inspirèrent ces montagnes en 1822 retracent assez bien les sentiments qui m’agitaient aux mêmes lieux en 1803 :

Alpes, vous n’avez point subi mes destinées !
 Le temps ne vous peut rien ;
Vos fronts légèrement ont porté les années
 Qui pèsent sur le mien.
Pour la première fois, quand, rempli d’espérance,
 Je franchis vos remparts,
Ainsi que l’horizon, un avenir immense
 S’ouvrait à mes regards.
L’Italie à mes pieds, et devant moi le monde[1] !

Ce monde, y ai-je réellement pénétré ? Christophe Colomb eut une apparition qui lui montra la terre de ses songes, avant qu’il l’eût découverte ; Vasco de Gama rencontra sur son chemin le géant des tempêtes : lequel de ces deux grands hommes m’a prédit mon avenir ? Ce que j’aurais aimé avant tout eût été une vie glorieuse par un résultat éclatant, et obscure par sa destinée. Savez-vous quelles sont les premières cendres européennes qui reposent en Amérique ? Ce sont celles de Biorn le Scandinave[2] : il mourut en abordant à Winland, et fut enterré par ses compagnons sur un promontoire. Qui sait cela ? Qui connaît

  1. La pièce d’où ces vers sont extraits se trouve dans les Poésies de Chateaubriand (Œuvres complètes, tome XXII), où elle porte ce titre : les Alpes ou l’Italie.
  2. Chateaubriand lui-même ne savait sans doute cela que du