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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

me rappelait ces vers que Chapelle et Bachaumont écrivaient dans l’île d’Ambijoux, près de Toulouse :

Hélas ! que l’on seroit heureux
Dans ce beau lieu digne d’envie,
Si, toujours aimé de Sylvie,
On pouvoit, toujours amoureux,
Avec elle passer sa vie !

Puisse mademoiselle Honorine être en garde contre sa belle voix ! Les talents sont de l’or de Toulouse : ils portent malheur.

Bordeaux était à peine débarrassé de ses échafauds et de ses lâches Girondins[1]. Toutes les villes que je voyais avaient l’air de belles femmes relevées d’une violente maladie et qui commencent à peine à respirer. À Bordeaux, Louis XIV avait jadis fait abattre le palais des Tutelles, afin de bâtir le Château-Trompette : Spon[2] et les amis de l’antiquité gémirent :

Pourquoi démolit-on ces colonnes des dieux,
Ouvrage des Césars, monument tutélaire ?

On trouvait à peine quelques restes des Arènes. Si l’on donnait un témoignage de regret à tout ce qui tombe, il faudrait trop pleurer.

Je m’embarquai pour Blaye. Je vis ce château alors ignoré, auquel, en 1833, j’adressai ces paroles : « Cap-

  1. Chateaubriand a jugé ici, d’un mot qui restera, ces hommes de la Gironde, dont le rôle, pendant la Révolution, a été aussi coupable que funeste. Voir la Légende des Girondins, par Edmond Biré.
  2. Joseph Spon, antiquaire français (1647-1685).