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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

bares ; dans un autre paragraphe, je mentionne un important travail à entreprendre sur les changements que le christianisme apporta dans les lois après la conversion de Constantin.

En supposant que l’opinion religieuse existât telle qu’elle est à l’heure où j’écris maintenant, le Génie du Christianisme étant encore à faire, je le composerais tout différemment : au lieu de rappeler les bienfaits et les institutions de notre religion au passé, je ferais voir que le christianisme est la pensée de l’avenir et de la liberté humaine ; que cette pensée rédemptrice et messie est le seul fondement de l’égalité sociale ; qu’elle seule la peut établir, parce qu’elle place auprès de cette égalité la nécessité du devoir, correctif et régulateur de l’instinct démocratique. La légalité ne suffit pas pour contenir, parce qu’elle n’est pas permanente ; elle tire sa force de la loi ; or, la loi est l’ouvrage des hommes qui passent et varient. Une loi n’est pas toujours obligatoire ; elle peut toujours être changée par une autre loi : contrairement à cela, la morale est permanente ; elle a sa force en elle-même, parce qu’elle vient de l’ordre immuable ; elle seule peut donc donner la durée.

Je ferais voir que partout où le christianisme a dominé, il a changé l’idée, il a rectifié les notions du juste et de l’injuste, substitué l’affirmation au doute, embrassé l’humanité entière dans ses doctrines et ses préceptes. Je tâcherais de deviner la distance où nous sommes encore de l’accomplissement total de l’Évangile, en supputant le nombre des maux détruits et des améliorations opérées dans les dix-huit siècles écoulés de ce côté-ci de la croix. Le christianisme