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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

la première base de la société, venait de faire des arrangements avec la cour de Rome : il ne mit d’abord aucun obstacle à la publication d’un ouvrage utile à la popularité de ses desseins ; il avait à lutter contre les hommes qui l’entouraient et contre des ennemis déclarés du culte ; il fut donc heureux d’être défendu au dehors par l’opinion que le Génie du Christianisme appelait. Plus tard il se repentit de sa méprise : les idées monarchiques régulières étaient arrivées avec les idées religieuses.

Un épisode du Génie du christianisme, qui fit moins de bruit alors qu’Atala, a déterminé un des caractères de la littérature moderne ; mais, au surplus, si René n’existait pas, je ne l’écrirais plus ; s’il m’était possible de le détruire, je le détruirais. Une famille de René poètes et de René prosateurs a pullulé : on n’a plus entendu que des phrases lamentables et décousues ; il n’a plus été question que de vents et d’orages, que de mots inconnus livrés aux nuages et à la nuit. Il n’y a pas de grimaud sortant du collège qui n’ait rêvé être le plus malheureux des hommes ; de bambin qui à seize ans n’ait épuisé la vie, qui ne se soit cru tourmenté par son génie ; qui, dans l’abîme de ses pensées, ne se soit livré au vague de ses passions ; qui n’ait frappé son front pâle et échevelé, et n’ait étonné les hommes stupéfaits d’un malheur dont il ne savait pas le nom, ni eux non plus.

Dans René, j’avais exposé une infirmité de mon siècle ; mais c’était une autre folie aux romanciers d’avoir voulu rendre universelles des afflictions en dehors de tout. Les sentiments généraux qui composent le fond de l’humanité, la tendresse paternelle