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que la critique venait trop tard, puisque mon rabâchage était déjà oublié. Il disait cela cinq ou six mois après la publication d’un ouvrage que l’attaque de l’Académie française entière, à l’occasion des prix décennaux, n’a pu faire mourir.

Ce fut au milieu des débris de nos temples que je publiai le Génie du Christianisme[1]. Les fidèles se crurent sauvés : on avait alors un besoin de foi, une avidité de consolations religieuses, qui venaient de la privation de ces consolations depuis longues années. Que de forces surnaturelles à demander pour tant d’adversités subies ! Combien de familles mutilées avaient à chercher auprès du Père des hommes les enfants qu’elles avaient perdus ! Combien de cœurs brisés, combien d’âmes devenues solitaires appelaient une main divine pour les guérir ! On se précipitait dans la maison de Dieu, comme on entre dans la maison du médecin le jour d’une contagion. Les victimes de nos troubles (et que de sortes de victimes !) se sauvaient à l’autel ; naufragés s’attachant au rocher sur lequel ils cherchent leur salut.

Bonaparte, désirant alors fonder sa puissance sur

    même un peu de mon avis, contre vous, en faveur de certaines divinités. C’est qu’il fait agir Dieu, ses saints et ses prophètes. Il m’a donné des vers pour le Mercure, il veut m’en donner d’autres pour ma seconde édition et faire de plus l’extrait de cette seconde édition. Enfin je ne puis vous dire tout le bien qu’il pense de votre ami, car j’en suis honteux. Il me passe jusqu’aux incorrections, et s’écrie : Bah ! bah ! Ces gens-là ne voient pas que cela tient à la nature même de votre talent. Oh ! laissez-moi faire ! Je les ferai crier ! Je serre dur !! — Je vous répète ceci, mon cher ami, afin que vous ne vous repentiez pas de votre jugement, en le voyant confirmé par une telle autorité… »

  1. Voir l’Appendice no VI : Le Génie du Christianisme.