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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

la plus grande hauteur du talent dramatique. Je l’avais vu à son début ; il était moins beau et pour ainsi dire moins jeune qu’à l’âge où je le revoyais : il avait pris la distinction, la noblesse et la gravité des années.

Le portrait que madame de Staël a fait de Talma dans son ouvrage sur l’Allemagne n’est qu’à moitié vrai : le brillant écrivain apercevait le grand acteur avec une imagination de femme, et lui donna ce qui lui manquait.

Il ne fallait pas à Talma le monde intermédiaire : il ne savait pas le gentilhomme ; il ne connaissait pas notre ancienne société ; il ne s’était pas assis à la table des châtelaines, dans la tour gothique au fond des bois ; il ignorait la flexibilité, la variété de ton, la galanterie, l’allure légère des mœurs, la naïveté, la tendresse, l’héroïsme d’honneur, les dévouements chrétiens de la chevalerie : il n’était pas Tancrède, Coucy, ou, du moins, il les transformait en héros d’un moyen âge de sa création : Othello était au fond de Vendôme.

Qu’était-il donc, Talma ? Lui, son siècle et le temps antique. Il avait les passions profondes et concentrées

    aussitôt par l’éclat fulgurant de sa beauté la moitié du parterre. Deux partis se formèrent, et la querelle Georges-Duchesnois, la guerre théâtrale (ainsi l’appellent les contemporains) divisa Paris pendant quatre ans, jusqu’au jour où les deux rivales se réconcilièrent (novembre 1806). Mlle Georges, d’ailleurs, le 11 mai 1808, disparaissait, pour aller à Vienne, à Saint-Pétersbourg, pour ne reparaître que le 2 octobre 1813 dans son rôle de début. Depuis 1808 jusqu’au succès de l’art romantique, Mlle Duchesnois occupa sans conteste le premier rang, comme tragédienne, à côté de Talma et de Lafon. Sa dernière représentation eut lieu le 30 mai 1833. Elle mourut le 8 février 1835.