mait le Corbeau[1] : il allait à la maraude dans mes ouvrages. Nous avions fait un traité : je lui avais abandonné mes ciels, mes vapeurs, mes nuées : mais il était convenu qu’il me laisserait mes brises, mes vagues et mes forêts.
Je ne parle maintenant que de mes amis littéraires ; quant à mes amis politiques, je ne sais si je vous en entretiendrai : des principes et des discours ont creusé entre nous des abîmes !
Madame Hocquart et madame de Vintimille venaient à la réunion de la rue Neuve-du-Luxembourg. Madame de Vintimille, femme d’autrefois, comme il en reste peu, fréquentait le monde et nous rapportait ce qui s’y passait : je lui demandais si l’on bâtissait encore des villes. La peinture des petits scandales qu’ébauchait une piquante raillerie, sans être offensante, nous faisait mieux sentir le prix de notre sûreté. Ma-
- ↑ Dans la « petite société » qui, au début du siècle, se réunissait dans le salon de Mme de Beaumont, rue Neuve-du-Luxembourg, ou chez Chateaubriand, dans son petit appartement de l’hôtel Coislin, place Louis XV, ou encore, l’été, à Villeneuve-sur-Yonne, sous le toit de M. Joubert, chacun, selon une mode ancienne, avait son sobriquet. Chateaubriand était surnommé le chat, par abréviation de son nom, ou peut-être à cause de son indéchiffrable écriture ; Mme de Chateaubriand, qui avait des griffes, était la chatte. Chênedollé et Gueneau de Mussy, plus mélancoliques que René, avaient reçu les noms de grand et de petit corbeau ; quelquefois aussi Chateaubriand était appelé l’illustre corbeau des Cordillères, par allusion à son voyage en Amérique. Fontanes était ramassé et avait quelque chose d’athlétique dans sa petite taille. Ses amis le comparaient en plaisantant au sanglier d’Érymanthe et le nommaient le sanglier. Mince et fluette, rasant la terre qu’elle devait bientôt quitter, Mme de Beaumont avait reçu le sobriquet d’hirondelle. Ami des bois et grand promeneur à cette époque, Joubert était le cerf, tandis que sa femme, la bonté et l’esprit même, mais d’humeur