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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

huit heures jusqu’à onze heures du soir dans mon entre-sol, assis devant ma table, le front appuyé sur le dos de mes mains étendues et ouvertes sur mon papier. J’en voulais à Fontanes ; je m’en voulais ; je n’essayais pas même d’écrire, tant je désespérais de moi. Vers minuit, la voix de mes tourterelles m’arriva, adoucie par l’éloignement et rendue plus plaintive par la prison où je les tenais renfermées : l’inspiration me revint ; je traçai de suite le discours du missionnaire, sans une seule interligne, sans en rayer un mot, tel qu’il est resté et tel qu’il existe aujourd’hui. Le cœur palpitant, je le portai le matin à Fontanes, qui s’écria : « C’est cela ! c’est cela ! je vous l’avais bien dit, que vous feriez mieux ! »

C’est de la publication d’Atala[1] que date le bruit que j’ai fait dans ce monde : je cessai de vivre de moi-même et ma carrière publique commença. Après tant de succès militaires, un succès littéraire paraissait un prodige ; on en était affamé. L’étrangeté de l’ouvrage ajoutait à la surprise de la foule. Atala tombant au milieu de la littérature de l’Empire, de cette école classique, vieille rajeunie dont la seule

  1. Fontanes, dans le Mercure du 16 germinal an IX (6 avril 1801), annonçait, en ces termes, la publication prochaine d’Atala : « L’auteur est le même dont on a déjà parlé plus d’une fois, en annonçant son grand travail sur les beautés morales et poétiques du christianisme. Celui qui écrit l’aime depuis douze ans et il l’a retrouvé, d’une manière inattendue, dans des jours d’exil et de malheurs ; mais il ne croit pas que les illusions de l’amitié se mêlent à ses jugements. » — Le Journal des Débats, dans sa feuille du 27 germinal (17 avril) annonça que le petit volume venait de paraître chez Migneret, rue Jacob no 1186. C’était un petit in-12 de xxiv et 210 pages de texte, avec ce titre : Atala ou les amours de deux sauvages dans le désert.