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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Je ne me le fis pas dire deux fois, et je m’évadai piteusement aux cris moqueurs de l’assemblée, parce que je n’avais pas de quoi consommer[1].

La Révolution s’est divisée en trois parties qui n’ont rien de commun entre elles : la République, l’Empire et la Restauration ; ces trois mondes divers, tous trois aussi complètement finis les uns que les autres, semblent séparés par des siècles. Chacun de ces trois mondes a eu un principe fixe : le principe de la République était l’égalité, celui de l’Empire la force, celui de la Restauration la liberté. L’époque républicaine est la plus originale et la plus profondément gravée, parce qu’elle a été unique dans l’histoire : jamais on n’avait vu, jamais on ne reverra

  1. Chateaubriand, à cette date, était à la lettre, sans le sou. Le 30 juillet 1800, il écrivait à Fontanes :

    « Je vous envoie, mon cher ami, un Mémoire que de Sales m’a laissé pour vous :

    « Rendez-moi deux services ;

    « Donnez-moi d’abord un mot pour le médecin.

    « Tâchez ensuite de m’emprunter vingt-cinq louis.

    « J’ai reçu de mauvaises nouvelles de ma famille, et je ne sais plus comment faire pour attendre l’autre époque de ma fortune, chez Migneret. Il est dur d’être inquiet sur ma vie pendant que j’achève l’œuvre du Seigneur. Juste et belle Révolution ! Ils ont tout vendu. Me voilà comme au sortir du ventre de ma mère, car mes chemises même ne sont pas françaises. Elles sont de la charité d’un autre peuple. Tirez-moi donc d’affaire, si vous le pouvez, mon cher ami. Vingt-cinq louis me feront vivre jusqu’à la publication qui décidera de mon sort. Alors le livre paiera tout, si tel est le bon plaisir de Dieu, qui jusqu’à présent ne m’a pas été très favorable.

    « Tout à vous,

    « LA SAGNE. »

    La lettre porte pour suscription : Au citoyen Fontanes, rue Honoré.