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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

grand étonnement, en entrant dans les Champs-Élysées, des sons de violon, de cor, de clarinette et de tambour. J’aperçus des bastringues où dansaient des hommes et des femmes ; plus loin, le palais des Tuileries m’apparut dans l’enfoncement de ses deux grands massifs de marronniers. Quant à la place Louis XV, elle était nue ; elle avait le délabrement, l’air mélancolique et abandonné d’un vieil amphithéâtre ; on y passait vite ; j’étais tout surpris de ne pas entendre des plaintes ; je craignais de mettre le pied dans un sang dont il ne restait aucune trace ; mes yeux ne se pouvaient détacher de l’endroit du ciel où s’était élevé l’instrument de mort ; je croyais voir en chemise, liés auprès de la machine sanglante, mon frère et ma belle-sœur : là était tombée la tête de Louis XVI. Malgré les joies de la rue, les tours des églises étaient muettes ; il me semblait être rentré le jour de l’immense douleur, le jour du vendredi saint.

M. de Fontanes demeurait dans la rue Saint-Honoré, aux environs de Saint-Roch[1]. Il me mena chez lui, me présenta à sa femme, et me conduisit ensuite chez son ami, M. Joubert, où je trouvai un abri provisoire : je fus reçu comme un voyageur dont on avait entendu parler.

Le lendemain, j’allai à la police, sous le nom de La Sagne, déposer mon passe-port étranger et recevoir en échange, pour rester à Paris, une permission

  1. Les lettres adressées par Chateaubriand au citoyen Fontanes, en 1800 et 1801, portent cette suscription : Rue Saint-Honoré, près le passage Saint-Roch, ou bien : Rue Saint-Honoré, no 85, près de la rue Neuve-du-Luxembourg.