Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t2.djvu/256

Cette page a été validée par deux contributeurs.
236
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

les os de Louis XVI, les Cosaques, le cercueil du duc de Berry et le catafalque de Louis XVIII.

Auguste de Lamoignon vint au-devant de madame Lindsay : son élégant équipage contrastait avec les lourdes charrettes, les diligences sales, délabrées, traînées par des haridelles attelées de cordes, que j’avais rencontrées depuis Calais. Madame Lindsay demeurait aux Ternes. On me mit à terre sur le chemin de la Révolte, et je gagnai, à travers champs, la maison de mon hôtesse. Je demeurai vingt-quatre heures chez elle ; j’y rencontrai un grand et gros monsieur Lasalle qui lui servait à arranger des affaires d’émigrés. Elle fit prévenir M. de Fontanes de mon arrivée ; au bout de quarante-huit heures, il me vint chercher au fond d’une petite chambre que madame Lindsay m’avait louée dans une auberge, presque à sa porte.

C’était un dimanche : vers trois heures de l’après-midi, nous entrâmes à pied dans Paris par la barrière de l’Étoile. Nous n’avons pas une idée aujourd’hui de l’impression que les excès de la Révolution avaient faite sur les esprits en Europe, et principalement parmi les hommes absents de la France pendant la Terreur ; il me semblait, à la lettre, que j’allais descendre aux enfers. J’avais été témoin, il est vrai, des commencements de la Révolution ; mais les grands crimes n’étaient pas alors accomplis, et j’étais resté sous le joug des faits subséquents, tels qu’on les racontait au milieu de la société paisible et régulière de l’Angleterre.

M’avançant sous mon faux nom, et persuadé que je compromettais mon ami Fontanes, j’ouïs, à mon