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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de l’innocence, qui n’a jamais eu l’avantage d’être rejeté et maudit de Dieu ; un homme qui, sorti réprouvé du sein de la nature, est le damné du néant.

Tel est le Byron des imaginations échauffées : ce n’est point, ce me semble, celui de la vérité.

Deux hommes différents, comme dans la plupart des hommes, sont unis dans lord Byron : l’homme de la nature et l’homme du système. Le poète, s’apercevant du rôle que le public lui faisait jouer, l’a accepté et s’est mis à maudire le monde qu’il n’avait pris d’abord qu’en rêverie : cette marche est sensible dans l’ordre chronologique de ses ouvrages.

Quant à son génie, loin d’avoir l’étendue qu’on lui attribue, il est assez réservé ; sa pensée poétique n’est qu’un gémissement, une plainte, une imprécation ; en cette qualité, elle est admirable : il ne faut pas demander à la lyre ce qu’elle pense, mais ce qu’elle chante.

Quant à son esprit, il est sarcastique et varié, mais d’une nature qui agite et d’une influence funeste : l’écrivain avait bien lu Voltaire, et il l’imite.

Lord Byron, doué de tous les avantages, avait peu de chose à reprocher à sa naissance ; l’accident même qui le rendait malheureux et qui rattachait ses supériorités à l’infirmité humaine n’aurait pas dû le tourmenter, puisqu’il ne l’empêchait pas d’être aimé. Le chantre immortel connut par lui-même combien est vraie la maxime de Zénon : « La voix est la fleur de la beauté. »

Une chose déplorable, c’est la rapidité avec laquelle les renommées fuient aujourd’hui. Au bout de quel-