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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ciel sans nuage ! Lieu où je vague aujourd’hui seul, moi qui souvent ai foulé, avec ceux que j’aimais, ton gazon mol et vert ; quand la destinée glacera ce sein qu’une fièvre dévore, quand elle aura calmé les soucis et les passions ;… ici où il palpita, ici mon cœur pourra reposer. Puissé-je m’endormir où s’éveillèrent mes espérances,… mêlé à la terre où coururent mes pas,… pleuré de ceux qui furent en société avec mes jeunes années, oublié du reste du monde ![1] »

Et moi je dirai : Salut, antique ormeau, au pied duquel Byron enfant s’abandonnait aux caprices de son âge, alors que je rêvais René sous ton ombre, sous cette même ombre où plus tard le poète vint à son tour rêver Childe-Harold ! Byron demandait au cimetière, témoin des premiers jeux de sa vie, une tombe ignorée : inutile prière que n’exaucera point la gloire. Cependant Byron n’est plus ce qu’il a été ; je l’avais trouvé de toutes parts vivant à Venise : au bout de quelques années, dans cette même ville où je trouvais son nom partout, je l’ai retrouvé effacé et inconnu partout. Les échos du Lido ne le répètent plus, et si vous le demandez à des Vénitiens, ils ne savent plus de qui vous parlez. Lord Byron est entièrement mort pour eux ; ils n’entendent plus les hennissements de son cheval : il en est de même à Londres, où sa mémoire périt. Voilà ce que nous devenons.

Si j’ai passé à Harrow sans savoir que lord Byron

  1. Vers écrits sous un ormeau dans le cimetière d’Harrow et datés du 2 septembre 1807. C’est par cette pièce que se terminent les Heures de paresse.