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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Walter Scott, de même que la poésie s’est précipitée sur les pas de lord Byron.

L’illustre peintre de l’Écosse débuta dans la carrière des lettres, lors de mon exil à Londres, par la traduction du Berlichingen de Gœthe[1]. Il continua à se faire connaître par la poésie, et la pente de son génie le conduisit enfin au roman. Il me semble avoir créé un genre faux ; il a perverti le roman et l’histoire : le romancier s’est mis à faire des romans historiques, et l’historien des histoires romanesques. Si, dans Walter Scott, je suis obligé de passer quelquefois des conversations interminables, c’est ma faute, sans doute ; mais un des grands mérites de Walter Scott, à mes yeux, c’est de pouvoir être mis entre les mains de tout le monde[2]. Il faut de plus grands efforts de talent pour intéresser en restant dans l’ordre que pour plaire en passant toute mesure ; il est moins facile de régler le cœur que de le troubler.

Burke retint la politique de l’Angleterre dans le passé. Walter Scott refoula les Anglais jusqu’au moyen âge : tout ce qu’on écrivit, fabriqua, bâtit, fut gothique : livres, meubles, maisons, églises, châteaux. Mais les lairds de la Grande-Charte sont aujourd’hui des fashionables de Bond-Street, race frivole qui

  1. La traduction du Gœtz de Berlichingen, de Gœthe, parut en 1799.
  2. Lamartine a dit de même, dans sa Réponse aux Adieux de Walter Scott :

    La main du tendre enfant peut t’ouvrir au hasard,
    Sans qu’un mot corrupteur étonne son regard,
    Sans que de tes tableaux la suave décence
    Fasse rougir un front couronné d’innocence.