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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

à votre personne et à vos grands talents. Travaillez, travaillez, mon cher ami, devenez illustre. Vous le pouvez : l’avenir est à vous. J’espère que la parole si souvent donnée par le contrôleur général des finances est au moins acquittée en partie. Cette partie me console, car je ne puis soutenir l’idée qu’un bel ouvrage est arrêté faute de quelques secours. Écrivez-moi ; que nos cœurs communiquent, que nos muses soient toujours amies. Ne doutez pas que, lorsque je pourrai me promener librement dans ma patrie, je ne vous y prépare une ruche et des fleurs à côté des miennes. Mon attachement est inaltérable. Je serai seul tant que je ne serai point auprès de vous. Parlez-moi de vos travaux. Je veux vous réjouir en finissant : j’ai fait la moitié d’un nouveau chant sur les bords de l’Elbe, et j’en suis plus content que de tout le reste.

« Adieu, je vous embrasse tendrement, et suis votre ami.

« Fontanes[1]. »

Fontanes m’apprend qu’il faisait des vers en changeant d’exil. On ne peut jamais tout ravir au poète ; il emporte avec lui sa lyre. Laissez au cygne ses ailes ; chaque soir, des fleuves inconnus répéteront les plaintes mélodieuses qu’il eût mieux aimé faire entendre à l’Eurotas.

L’avenir est à vous : Fontanes disait-il vrai ? Dois-je me féliciter de sa prédiction ? Hélas ! cet avenir annoncé est déjà passé : en aurai-je un autre ?

  1. Voir, à l’Appendice, le no III : Fontanes et Chateaubriand.