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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

à cette nature ; la fidélité native du vassal, la simple foi du chrétien, s’y mêlaient à la rude indépendance plébéienne accoutumée à s’estimer et à se faire justice. Le sentiment de sa liberté paraissait n’être en lui que la conscience de la force de sa main et de l’intrépidité de son cœur. Il ne parlait pas plus qu’un lion ; il se grattait comme un lion, bâillait comme un lion, se mettait sur le flanc comme un lion ennuyé, et rêvait apparemment de sang et de forêts.

Quels hommes dans tous les partis que les Français d’alors, et quelle race aujourd’hui nous sommes ! Mais les républicains avaient leur principe en eux, au milieu d’eux, tandis que le principe des royalistes était hors de France. Les Vendéens députaient vers les exilés ; les géants envoyaient demander des chefs aux pygmées. L’agreste messager que je contemplais avait saisi la Révolution à la gorge, il avait crié : « Entrez ; passez derrière moi ; elle ne vous fera aucun mal ; elle ne bougera pas ; je la tiens. » Personne ne voulut passer : alors Jacques Bonhomme relâcha la Révolution, et Charette brisa son épée.


PROMENADES AVEC FONTANES.

Tandis que je faisais ces réflexions à propos de ce laboureur, comme j’en avais fait d’une autre sorte à la vue de Mirabeau et de Danton, Fontanes obtenait une audience particulière de celui qu’il appelait plaisamment le contrôleur général des finances : il en sortit fort satisfait, car M. du Theil avait promis d’encourager la publication de mes ouvrages, et Fontanes ne pensait qu’à moi. Il n’était pas possible d’être