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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Peltier m’était revenu ; il s’était marié à la venvole ; toujours hâbleur, gaspillant son obligeance et fréquentant l’argent de ses voisins plus que leur personne.

Je fis plusieurs connaissances nouvelles, surtout dans la société où j’avais des rapports de famille : Christian de Lamoignon[1], blessé grièvement d’une jambe à l’affaire de Quiberon, et aujourd’hui mon collègue à la Chambre des pairs, devint mon ami. Il me présenta à madame Lindsay, attachée à Auguste de

  1. Anne-Pierre-Christian, vicomte de Lamoignon, né à Paris le 15 juin 1770, troisième fils de Chrétien-François de Lamoignon, marquis de Basville, ancien garde des sceaux, et de Marie-Élisabeth Berryer, fille de Nicolas-René Berryer, secrétaire d’État et garde des sceaux. En 1788, il embrassa la carrière des armes ; pendant l’émigration, il servit à l’armée des princes comme garde du corps et fit partie de l’expédition de Quiberon. À cette dernière affaire, atteint à la jambe d’un coup de feu qui l’avait étendu sur le sable, il ne dut la vie qu’à son frère Charles. Celui-ci le prit sur ses épaules, le porta dans une chaloupe et, s’arrachant aux bras qui voulaient le retenir : « Mon régiment, dit-il, doit se battre encore, je vais le rejoindre. » Fait prisonnier quelques heures après, Charles de Lamoignon fut fusillé le 2 août 1795. Ramené en Angleterre, le vicomte Christian souffrit longtemps de ses blessures, s’adonna aux lettres et se lia très étroitement avec Chateaubriand. De retour en France sous le consulat et devenu l’époux de Mlle Molé de Champlâtreux, il alla demeurer à Méry-sur-Oise, dans le château du président Molé, et le fit réparer d’après le goût du pays où il avait vécu si longtemps comme émigré. Louis XVIII le nomma pair de France, le 17 août 1815. Il avait un vrai talent d’écrivain, dont témoignent ses rapports à la Chambre haute. Celui qu’il fit, en 1816, sur le projet de loi portant abolition du divorce est particulièrement remarquable. Sa blessure de Quiberon s’étant rouverte dans ses dernières années, force lui fut de se confiner chez lui ; fidèle jusqu’au bout à ses devoirs, il se faisait porter au Luxembourg toutes les fois qu’il y croyait sa présence nécessaire. Il est mort, à Paris, le 21 mars 1827.