offensez pas si je ne veux rien garder de vous, » et elle se prit à pleurer. « Farewell ! farewell ! me dit-elle, souvenez-vous de mon fils. Je ne vous reverrai jamais, car vous ne viendrez pas me chercher à Bungay. — J’irai, m’écriai-je ; j’irai vous porter le brevet de votre fils. » Elle secoua la tête d’un air de doute, et se retira.
Rentré à l’ambassade, je m’enfermai et j’ouvris le paquet. Il ne contenait que des billets de moi insignifiants et un plan d’études, avec des remarques sur les poètes anglais et italiens. J’avais espéré trouver une lettre de Charlotte ; il n’y en avait point ; mais j’aperçus aux marges du manuscrit quelques notes anglaises, françaises et latines, dont l’encre vieillie et la jeune écriture témoignaient qu’elles étaient depuis longtemps déposées sur ces marges.
Voilà mon histoire avec miss Ives. En achevant de la raconter, il me semble que je perds une seconde fois Charlotte, dans cette même île où je la perdis une première. Mais entre ce que j’éprouve à cette heure pour elle, et ce que j’éprouvais aux heures dont je rappelle les tendresses, il y a tout l’espace de l’innocence : des passions se sont interposées entre miss Ives et lady Sulton. Je ne porterais plus à une femme ingénue la candeur des désirs, la suave ignorance d’un amour resté à la limite du rêve. J’écrivais alors sur le vague des tristesses ; je n’en suis plus au vague de la vie. Eh bien ! si j’avais serré dans mes bras, épouse et mère, celle qui me fut destinée vierge et épouse, c’eût été avec une sorte de rage, pour flétrir, remplir de douleur et étouffer ces vingt-sept années livrées à un autre, après m’avoir été offertes.