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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

que j’aurais portée à mon cou. Je n’étais pas plutôt dans un lieu écarté, que Charlotte, aux blanches mains, se venait placer à mes côtés. Je devinais sa présence, comme la nuit on respire le parfum des fleurs qu’on ne voit pas.

Privé de la société d’Hingant, mes promenades, plus solitaires que jamais, me laissaient en pleine liberté d’y mener l’image de Charlotte. À la distance de trente milles de Londres, il n’y a pas une bruyère, un chemin, une église que je n’aie visités. Les endroits les plus abandonnés, un préau d’orties, un fossé planté de chardons, tout ce qui était négligé des hommes, devenaient pour moi des lieux préférés, et dans ces lieux Byron respirait déjà. La tête appuyée sur ma main, je regardais les sites dédaignés ; quand leur impression pénible m’affectait trop, le souvenir de Charlotte venait me ravir : j’étais alors comme ce pèlerin, lequel, arrivé dans une solitude à la vue des rochers du Sinaï, entendit chanter le rossignol.

À Londres, on était surpris de mes façons. Je ne regardais personne, je ne répondais point, je ne savais ce que l’on me disait : mes anciens camarades me soupçonnaient atteint de folie.


Qu’arriva-t-il à Bungay après mon départ ? Qu’est devenue cette famille où j’avais apporté la joie et le deuil ?

Vous vous souvenez toujours bien que je suis ambassadeur auprès de Georges IV, et que j’écris à Londres, en 1822, ce qui m’arriva à Londres en 1795.

Quelques affaires, depuis huit jours, m’ont obligé