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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

chait sous la pourpre à mes côtés. Facétieux, bon musicien, ayant la voix belle, quand nous ne dormions pas, il s’asseyait tout nu sur ses sangles, mettait son bonnet carré, et chantait des romances en s’accompagnant d’une guitare qui n’avait que trois cordes. Une nuit que le pauvre garçon fredonnait ainsi l’Hymne à Vénus de Métastase : Scendi propizia, il fut frappé d’un vent coulis ; la bouche lui tourna, et il en mourut, mais pas tout de suite, car je lui frottai cordialement la joue. Nous tenions des conseils dans notre chambre haute, nous raisonnions sur la politique, nous nous occupions des cancans de l’émigration. Le soir, nous allions chez nos tantes et cousines danser, après les modes enrubanées et les chapeaux faits.


Ceux qui lisent cette partie de mes Mémoires ne se sont pas aperçus que je les ai interrompus deux fois : une fois, pour offrir un grand dîner au duc d’York, frère du roi d’Angleterre ; une autre fois, pour donner une fête pour l’anniversaire de la rentrée du roi de France à Paris, le 8 juillet. Cette fête m’a coûté quarante mille francs[1]. Les pairs et les pairesses de l’empire britannique, les ambassadeurs, les étrangers de distinction, ont rempli mes salons magnifiquement décorés. Mes tables étincelaient de l’éclat des cristaux de Londres et de l’or des porcelaines de Sèvres. Ce qu’il y a de plus délicat en mets, vins et fleurs, abondait. Portland-Place était encombré de brillantes voi-

  1. Douze mille francs seulement, d’après son secrétaire, M. de Marcellus, qui tenait les comptes de l’ambassade ; mais on sait de reste, que Chateaubriand ne comprit jamais rien aux chiffres de ménage. — Voir Chateaubriand et son temps, p. 99.