misères nous appelaient chez les morts d’une manière moins poétique.
Mes fonds s’épuisaient : Baylis et Deboffe s’étaient hasardés, moyennant un billet de remboursement en cas de non-vente, à commencer l’impression de l’Essai ; là finissait leur générosité, et rien n’était plus naturel ; je m’étonne même de leur hardiesse. Les traductions ne venaient plus ; Peltier, homme de plaisir, s’ennuyait d’une obligeance prolongée. Il m’aurait bien donné ce qu’il avait, s’il n’eût préféré le manger ; mais quêter des travaux çà et là, faire une bonne œuvre de patience, impossible à lui. Hingant voyait aussi s’amoindrir son trésor ; entre nous deux, nous ne possédions que soixante francs. Nous diminuâmes la ration de vivres, comme sur un vaisseau lorsque la traversée se prolonge. Au lieu d’un schelling par tête, nous ne dépensions plus à dîner qu’un demi-schelling. Le matin, à notre thé, nous retranchâmes la moitié du pain, et nous supprimâmes le beurre. Ces abstinences fatiguaient les nerfs de mon ami. Son esprit battait la campagne ; il prêtait l’oreille, et avait l’air d’écouter quelqu’un ; en réponse, il éclatait de rire, ou versait des larmes. Hingant croyait au magnétisme, et s’était troublé la cervelle du galimatias de Swedenborg. Il me disait le matin qu’on lui avait fait du bruit la nuit ; il se fâchait si je lui niais ses imaginations. L’inquiétude qu’il me causait m’empêchait de sentir mes souffrances.
Elles étaient grandes pourtant : cette diète rigoureuse, jointe au travail, échauffait ma poitrine malade ; je commençais à avoir de la peine à marcher, et néanmoins je passais les jours et une partie des