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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Monsieur mon père aurait volontiers, comme un grand terrien du moyen âge[1], appelé Dieu le Gentilhomme de là-haut, et surnommé Nicodème (le Nicodème de L’Évangile) un saint gentilhomme. Maintenant, en passant par mon géniteur, arrivons de Christophe, seigneur suzerain de la Guerrande, et descendant en Ligne directe des barons de Chateaubriand, jusqu’à moi, François, seigneur sans vassaux et sans argent de la Vallée-aux-Loups.

En remontant la lignée des Chateaubriand, composée de trois branches, les deux premières étant faillies, la troisième, celle des sires de Beaufort, prolongée par un rameau (les Chateaubriand de La Guerrande), s’appauvrit, effet inévitable de la loi du pays : les aînés nobles emportaient les deux tiers des biens, en vertu de la coutume de Bretagne ; les cadets divisaient entre eux tous un seul tiers de l’héritage paternel. La décomposition du chétif estoc de ceux-ci s’opérait avec d’autant plus de rapidité, qu’ils se mariaient ; et comme la même distribution des deux tiers au tiers existait aussi pour leurs enfants, ces cadets des cadets arrivaient promptement au partage d’un pigeon, d’un lapin, d’une canardière et d’un chien de chasse, bien qu’ils fussent toujours chevaliers hauts et puissants seigneurs d’un colombier, d’une crapaudière et d’une

  1. Les éditions précédentes portent, toutes, « comme un grand terrier du moyen-âge ». Chateaubriand avait dû certainement écrire terrien. Le Dictionnaire de Furetière (1690) porte : « Terrien. — Qui possède grande étendue de terre. — Le roy d’Espagne est le plus grand terrien du monde depuis la découverte des Indes occidentales. — Cette duchesse est grande terrienne en Bretagne, elle y possède beaucoup de terres. » — Littré dit aussi : « Grand terrien, seigneur qui possède beaucoup de terres. »