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LII
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dernier sacrifice à mes serments et à l’unité de ma conduite. Par un attachement peut-être pusillanime, je regardais ces Mémoires comme des confidents dont je ne m’aurais pas voulu séparer ; mon dessein était de les laisser à Mme de Chateaubriand ; elle les eût fait connaître à sa volonté, ou les aurait supprimés, ce que je désirerais plus que jamais aujourd’hui.

Ah ! si, avant de quitter la terre, j’avais pu trouver quelqu’un d’assez riche, d’assez confiant pour racheter les actions de la Société, et n’étant, pas comme cette Société, dans la nécessité de mettre l’ouvrage sous presse sitôt que tintera mon glas ! Quelques-uns des actionnaires sont mes amis ; plusieurs sont des personnes obligeantes qui ont cherché à m’être utiles ; mais enfin les actions se seront peut-être vendues, elles auront été transmises à des tiers que je ne connais pas, et dont les affaires de famille doivent passer en première ligne ; à ceux-ci, il est naturel que mes jours, en se prolongeant, deviennent sinon une importunité, du moins un dommage. Enfin, si j’étais encore maître de ces Mémoires, ou je les garderais en manuscrit ou j’en retarderais l’apparition de cinquante années.

Ces Mémoires ont été composés à différentes dates et en différents pays. De là des prologues obligés qui peignent les lieux que j’avais sous les yeux, les sentiments qui m’occupaient au moment où se renoue le fil de ma narration. Les formes changeantes de ma vie sont ainsi entrées les unes dans les autres : il m’est arrivé que, dans mes instants de prospérité, j’ai eu à parler de mes temps de misère ; dans mes jours de tribulation, à retracer mes jours de bonheur.