À l’appui de ses éloges, Alexandre Vinet fait de nombreuses citations. Il se trouve que toutes sont empruntées à des passages des Mémoires d’Outre-tombe que Chateaubriand avait intercalés dans le texte du Congrès de Vérone. N’est-ce pas là la preuve, une preuve décisive, que la portion des Mémoires écrite de 1836 à 1839, la seule qui aurait pu causer quelque inquiétude littéraire, ne le cède en rien aux autres parties de l’ouvrage ?
Par le style comme par la composition, les Mémoires d’Outre-tombe sont donc dignes du génie de Chateaubriand. Leur place est marquée immédiatement au-dessous des Mémoires de Saint-Simon. Et encore, tout en maintenant le premier rang à son incomparable prédécesseur, n’est-il que juste d’ajouter que Chateaubriand lui est supérieur par plus d’un endroit. Dans un éloquent article, publié en 1857, Montalembert a dit de Saint-Simon : « Il est tout, excepté poète ; car il lui manque l’idéal et la rêverie[1]. » Chateaubriand, dans ses Mémoires, est poète et grand poète. Qu’il promène ses rêves d’adolescent sur les grèves de Bretagne ou ses rêveries de vieillard sur les lagunes de Venise ; qu’il écoute, sentinelle perdue aux bords de la Moselle, la confuse rumeur du camp qui s’éveille, aux premières blancheurs de l’aube, ou que, ministre du roi de France, il entende, sur la route de Gand à Bruxelles, à l’angle d’un champ, au pied d’un peuplier, le bruit lointain de cette grande bataille encore sans nom, qui s’appellera demain Water-
- ↑ Le Correspondant, livraison du 25 janvier 1857. Article sur la nouvelle édition de Saint-Simon. Réimprimé dans les Œuvres de Montalembert, tome VI, p. 405 et 507.