La chaleur nous accablait ; le vaisseau, dans un calme plat, sans voiles et trop chargé de ses mâts, était tourmenté du roulis : brûlé sur le pont et fatigué du mouvement, je me voulus baigner, et, quoique nous n’eussions point de chaloupe dehors, je me jetai du beaupré à la mer. Tout alla d’abord à merveille, et plusieurs passagers m’imitèrent. Je nageais sans regarder le vaisseau ; mais quand je vins à tourner la tête, je m’aperçus que le courant l’entraînait déjà loin. Les matelots, alarmés, avaient filé un grelin aux autres nageurs. Des requins se montraient dans les eaux du navire, et on leur tirait des coups de fusil pour les écarter. La houle était si grosse qu’elle retardait mon retour en épuisant mes forces. J’avais un gouffre au-dessous de moi, et les requins pouvaient à tout moment m’emporter un bras ou une jambe. Sur le bâtiment, le maître d’équipage cherchait à descendre un canot dans la mer, mais il fallait établir un palan, et cela prenait un temps considérable.
Par le plus grand bonheur, une brise presque insensible se leva ; le vaisseau, gouvernant un peu, s’approcha de moi ; je ne pus m’emparer de la corde ; mais les compagnons de ma témérité s’étaient accrochés à cette corde ; quand on nous tira au flanc du bâtiment, me trouvant à l’extrémité de la file, ils pesaient sur moi de tout leur poids. On nous repêcha ainsi un à un, ce qui fut long. Les roulis continuaient ; à chacun de ces roulis en sens opposé, nous plongions de six ou sept pieds dans la vague, ou nous étions suspendus en l’air à un même nombre de pieds, comme des poissons au bout d’une ligne : à la dernière immersion,