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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

opposée, s’il s’était rencontré dans l’ordre de la noblesse bretonne.

Le jeune Boishue et Saint-Riveul, mon camarade de collège avaient péri avant ces rencontres, en se rendant à la chambre de la noblesse ; le premier fut en vain défendu par son père, qui lui servit de second[1].

Lecteur, je t’arrête : regarde couler les premières gouttes de sang que la Révolution devait répandre. Le ciel a voulu qu’elles sortissent des veines d’un compagnon de mon enfance. Supposons ma chute au lieu de celle de Saint-Riveul ; on eût dit de moi, en changeant seulement le nom, ce que l’on dit de la victime par qui commence la grande immolation : « Un gentilhomme nommé Chateaubriand, fut tué en se rendant à la salle des États. » Ces deux mots auraient remplacé ma longue histoire. Saint-Riveul eût-il joué mon rôle sur la terre ? était-il destiné au bruit ou au silence ?

Passe maintenant, lecteur ; franchis le fleuve de

  1. Louis-Pierre de Guehenneuc de Boishue, fils aîné de Jean-Baptiste-René de Guehenneuc, comte de Boishue, était né à Lanhélen (évêché de Dol), le 31 octobre 1767. Il n’avait donc que 21 ans lorsqu’il fut tué dans les rues de Rennes, le 27 janvier 1789, en même temps que le jeune Saint-Riveul. (Voyez sur ce dernier la note de la page 109.) — Ces deux jeunes gens avaient signé, quelques jours auparavant, la protestation de la noblesse contre les Arrêtés du Conseil relatifs à la convocation des États-Généraux. Un certain nombre d’autres gentilshommes, âgés de moins de 25 ans, avaient été autorisés comme eux à apposer leur signature sur ce document, à la suite des membres des États. L’original de cette pièce est aux Archives d’Ille-et-Vilaine. — Pour les détails de la mort des jeunes Boishue et Saint-Riveul, consulter l’ouvrage de M. Barthélémy Pocquet, les Origines de la Révolution en Bretagne, tome II, p. 255.