sacré, parce qu’elles sortent du sépulcre. » Hélas ! sa narration était accompagnée de la voix et du hurlement des factions. Le chant du poète se perdit au milieu des rumeurs de la Révolution, comme le cri des Alcyons se perd au milieu du tumulte des vagues déchaînées.
On pouvait espérer, du moins, qu’après cette malencontreuse publication dans le feuilleton de la Presse, les Mémoires, paraissant en volumes, trouveraient meilleure fortune auprès des vrais lecteurs, de ceux qui, même en temps de révolution, restent fidèles au culte des lettres. Mais, ici encore, le grand poète eut toutes les chances contre lui. Son livre fut publié en douze volumes in-8o[1], à 7 fr. 50 le volume, soit, pour l’ouvrage entier, 90 fr. Quelques millionnaires et aussi quelques fidèles de Chateaubriand se risquèrent pourtant à faire la dépense. Mais les millionnaires trouvèrent qu’il y avait trop de pages blanches ; quant aux fidèles, ils ne laissèrent pas d’éprouver, eux aussi, une vive déception. Divisés, découpés en une infinité de petits chapitres, comme si le feuilleton continuait encore son œuvre, les Mémoires n’avaient rien de cette belle ordonnance, de cette symétrie savante, qui caractérisent les autres ouvrages de Chateaubriand. Le décousu, le défaut de suite, l’absence de plan, déconcertaient le lecteur, le disposaient mal à goûter tant de belles pages, où se révélait, avec un éclat plus vif que jamais, le génie de l’écrivain.
L’édition à 90 francs ne fit donc pas regagner aux Mé-
- ↑ Les onze premiers volumes renferment le texte des Mémoires ; le douzième volume était formé d’appendices. Les douze volumes parurent de 1849 à 1850.